Anne-Sophie Lechevallier
Pendant que les Etats tergiversent, les sociétés haussent d’un cran leurs ambitions en matière d’écologie.
Au bas du document, quelque 180 signatures manuscrites, dont celles de Tim Cook chez Apple, de Jeff Bezos chez Amazon, de David Solomon chez Goldman Sachs, des dirigeants de Coca-Cola, de Boeing, d’Exxon, de Ford... Tous membres du lobby Business Roundtable, ces P-DG de multinationales américaines ont adopté l’été dernier une nouvelle déclaration sur la raison d’être des sociétés. Fini le temps où les seuls actionnaires étaient la priorité. Ce sera désormais le cas des clients, des employés, des fournisseurs, des communautés... Les temps changent dans le capitalisme américain –à tout le moins dans son discours.
En France, cela fait près de vingt ans que les entreprises sont appelées à considérer les conséquences environnementales et sociales de leurs activités. Dès 2001, par exemple, une loi obligeait les sociétés cotées en Bourse à publier un rapport sur leur politique RSE -Responsabilité sociale et environnementale. Mais nombre d’entre elles s’étaient arrêtées aux vœux pieux. Jusqu’au récent sursaut, que beaucoup datent de l’accord de Paris, en 2015.
« On pouvait craindre un effet de mode, mais c’est un réel changement de marché, assure Louis Douady, directeur de la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) chez Natixis. La plupart de nos clients ont développé une sensibilité aux sujets environnementaux, la réglementation se durcit et nous avons conscience de l’impact direct de nos financements dans la lutte contre le réchauffement climatique. »
Aurélie Motta-Rivey, qui vient de cofonder Societer, un cabinet de conseil aux dirigeants sur le leadership durable, explique : « Pendant longtemps les entreprises ont traité la question de la RSE à côté du business, en créant par exemple des fondations. Elles ont désormais compris que, pour avoir de l’impact, il convient de placer un engagement sociétal au cœur de leur stratégie. » Et de prendre comme exemple la présence de P-DG français à la dernière assemblée générale des Nations unies à New York: « Les Nations Unies savent que, faute de moyens financiers et de capacité à déployer concrètement la transformation, elles n’atteindront pas seules les objectifs de développement durable d’ici 2030. Le secteur privé peut les y aider. » De leur côté, les entreprises y joueraient leur survie, comme l’a écrit cette année Larry Fink, le patron du fonds BlackRock dans sa lettre aux PDG en début d’année : celles « qui ignorent leurs responsabilités envers les parties prenantes trébuchent et échouent ».
Les initiatives « vertes » se multiplient. A partir du 1er janvier, Air France consacrera « plusieurs millions d’euros » à compenser la totalité des émissions de ses 450 vols domestiques quotidiens, en finançant des projets dans le monde entier. Les banques prennent, elles, des engagements pour réduire leur participation aux activités liées au charbon. Le Crédit agricole a été félicité par Oxfam et Les Amis de la Terre pour sa décision de sortir du charbon d’ici à 2050. « Certains acteurs montrent la voie, mais tous ne sont pas prêts à renoncer à des clients, constate Alexandre Poidatz, spécialiste du financement de la transition énergétique chez Oxfam. L’Etat se défausse sur l’autorégulation des entreprises. Il existe encore une dissonance entre les discours sur la volonté d’enclencher la transition énergétique et les actes. » Louis Douady considère que «plutôt que d’être dans une logique d’exclusion, il vaut mieux accompagner les acteurs, y compris les pollueurs, dans la sortie des énergies les plus émettrices ». Natixis a installé en septembre son « Green Weighting Factor ». « Cet outil de mesure attribue une couleur aux projets selon leur impact sur l’environnement, une couleur qui module, à la hausse ou à la baisse, la rentabilité attendue de chaque financement », explique Louis Douady.
Cependant, le greenwashing n’a pas subitement disparu. Ainsi, le fonds souverain norvégien, le plus important au monde avec plus de 1000 milliards de dollars d’actifs grâce aux revenus pétroliers du pays, avait annoncé se débarrasser de ses investissements dans le pétrole... avant de se raviser et de ne se séparer, selon Bloomberg, que de 5,7 milliards de dollars d’actifs sur 37 milliards concernés. Les efforts pour limiter le réchauffement climatique attendront.
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